Si vous faites régulièrement imprimer des brochures, des folders ou d’autres produits graphiques, vous l’aurez sûrement remarqué : les prix du papier ne cessent de grimper. En un an, ils ont augmenté de 60 à 80% en moyenne, selon les qualités. Une situation inédite pour les imprimeurs. Que se passe-t-il ? Et à quoi peut-on s’attendre ?
L’anecdote est révélatrice : l’écrivain Joël Dicker, devenu son propre éditeur, a failli manquer de papier pour son nouveau roman, « L’Affaire Alaska Sanders », sorti au mois de mars. Le papier avait pourtant été commandé à temps, mais le romancier avait prévu 500 pages ; il en a finalement écrit 576 (multipliées par 500.000 exemplaires en français). Résultat : il manquait des tonnes de papier, qu’il a été très difficile de trouver à temps.
En ce début 2022, le marché du papier est en pénurie dans la plupart des qualités. À cela, plusieurs raisons, à commencer par… l’épidémie de covid-19. Avant la crise sanitaire, les prix étaient relativement stables, mais les volumes étaient en décroissance. La numérisation entraînant une baisse régulière de la demande d’imprimés (moins de catalogues, d’annuaires, de livres, etc.), les fabricants de papier réduisaient progressivement leurs capacités depuis une quinzaine d’années.
Les deux effets Kiss Cool : e-commerce et énergie
Survient l’épidémie de covid qui, en 2020, entraîne une crise économique mondiale. Dans un premier temps, les volumes baissent encore. Très vite cependant, la demande explose dans le segment du carton et des papiers d’emballages, dopés par le boom de l’e-commerce. Logiquement, les papetiers qui le peuvent reconvertissent certaines usines pour y répondre.
Début 2021, c’est la reprise économique, plus robuste qu’on l’attendait. La demande de papier remonte, mais l’offre ne suit pas : l’e-commerce n’a pas faibli, les usines reconverties au carton ne fabriquent plus de papier… Les volumes ne sont plus là ! C’est le « premier effet Kiss Cool » : les prix commencent à grimper et les délais de livraison s’allongent. Selon la dure loi du marché, le papier s’en va au plus offrant – en l’occurrence, une partie des volumes produits en Europe part vers les États-Unis ou l’Asie, où l’embellie économique s’est présentée plus tôt.
Deuxième effet Kiss Cool : à leur tour, entraînés par la reprise, les prix de l’énergie augmentent fin 2021. Et pour fabriquer du papier, il en faut beaucoup, de l’énergie : il faut réduire le bois en pâte, puis faire tourner d’énormes machines à papier… La guerre en Ukraine, qui survient dans ce contexte, aggrave encore la situation.
Le papier peut représenter jusqu’à 50% du coût de production d’un imprimé. Quand son prix augmente, l’impact est forcément majeur. Or, en un an, les prix ont augmenté de 60 à 80% en moyenne, selon les qualités – c’est en partie un rattrapage, car ils avaient stagné, voir baissé auparavant. Mais il y a pire : même au prix fort, certains papiers ne sont tout simplement pas disponibles, ou pas avant de longs délais. Il faut alors chercher une qualité alternative.
« La production n’augmentera pas »
Mais, direz-vous, si la demande est là, pourquoi les papetiers n’augmentent-ils pas leurs volumes ? Nous avons posé la question à Eric De Brouwer, Sales Manager chez Igepa, l’un des principaux grossistes belges : « La production n’augmentera pas », répond-il, « D’abord, parce que le papier est une industrie lourde : pour construire une machine à papier, les investissements sont importants et les délais sont longs ; on compte en années. Mais il y a une autre raison : la situation actuelle est liée à une conjonction de facteurs ; à plus long terme, il est probable que les volumes imprimés continuent à baisser, parce que rien n’indique que la tendance à la numérisation va ralentir. Les papetiers n’ont donc aucune raison d’investir. »
À quoi peut-on s’attendre dans les prochains mois ? Il faut bien sûr espérer la fin des hostilités en Ukraine, mais, pour ce qui concerne les prix du papier, cet élément n’est pas le plus déterminant. Les prix de l’énergie et l’essor de l’e-commerce sont des facteurs plus structurels. Les prix du papier ne reviendront donc sans doute pas à leur niveau « pré-covid ». « Ils vont probablement se stabiliser à des niveaux relativement élevés, où les papetiers trouveront de la rentabilité », conclut M. De Brouwer.